Débat : Célébrer l’éducation et les apprentissages, un combat universel

shutterstock_1352177318.jpg

Dans l’Agenda 2030 des Nations unies, l’accès de toutes et tous à une éducation de qualité constitue le quatrième objectif de développement durable (ODD). Un ODD parmi dix-sept mais qui les gouverne tous, tant le niveau d’éducation d’une population, et en particulier des filles, est surdéterminant pour les trajectoires de développement d’un pays. Un objectif qui sera célébré ce 24 janvier 2021, ainsi que le 25 janvier 2021, à l’occasion de la troisième Journée internationale de l’éducation.

Si les scénarios les plus optimistes tablent sur une transition démographique rapide – avec un pic de la population mondiale atteint avant 2050 –, accueillir près de deux milliards d’êtres humains supplémentaires impose un développement de l’éducation. Or, en la matière, rien n’est acquis et beaucoup reste à faire. Aujourd’hui, plus de 250 millions d’enfants et d’adolescents ne vont pas à l’école et plus de 600 millions ne savent ni lire ni effectuer des calculs élémentaires. Plus de 60 % des filles en Afrique subsaharienne n’achèvent pas leur scolarité secondaire.

L’éducation a été particulièrement touchée par la pandémie de Covid-19 : avec 184 pays ayant fermé leurs écoles, c’est plus de 1,5 milliard d’élèves qui n’ont pas été scolarisés en 2020, soit près de 90 %. La pandémie vient donc aggraver des situations déjà préoccupantes.

Des adversaires de l’éducation qui prospèrent

Aux quatre coins du monde, l’éducation est la cible privilégiée d’attaques terroristes. À Conflans-Sainte-Honorine comme à Bamako ou à Peshawar, « terroriser l’école, c’est attaquer la Fabrique du citoyen de demain », selon les mots de Cyrille Bret sur The Conversation le 23 octobre 2020.

Au Pakistan, les talibans s’en sont pris à plus de 900 écoles entre 2006 et 2012 en ciblant tout particulièrement les écoles de filles, un bien sinistre contexte au prix Nobel de la paix décerné à Malala Yousafzai en 2014. En Afrique Subsaharienne, les attaques contre les écoles sont devenues une stratégie terroriste systématique. Au Mali, en 2019, plus de 900 écoles ont fermé leurs portes et 150 000 élèves ont été déplacés de force. Boko Haram – « le livre interdit » – s’attaque méthodiquement à l’éducation pour instiller la peur et miner les capacités de développement et d’émancipation des populations.

Le fléau des désordres de l’information se fait, par ailleurs, de plus en plus efficace et dangereux, en démocratie et ailleurs. L’insurrection de l’extrême droite trumpiste au Capitole, le 6 janvier dernier, ainsi que les attentats terroristes réguliers en de nombreux points du globe illustrent, de façon paroxystique, combien l’obscurantisme et le refus de la raison résistent.

Les adversaires de l’éducation propagent et confortent leur idéologie, par la violence verbale, iconographique et physique, et par le meurtre. Ils s’opposent à l’émancipation, à la liberté de penser et de s’exprimer, à la science, au débat d’idées, à la démocratie.

Dans ce contexte, la proclamation, par l’Assemblée générale de l’ONU, en 2018, du 24 janvier comme la « Journée internationale de l’éducation » prend un sens particulier : celui d’un combat universel. Comme le rappelle l’UNESCO, l’éducation est non seulement un droit humain, mais aussi un bien public et une responsabilité publique. Ce sont le développement, la paix et l’émancipation, la liberté de toutes et de tous qui sont en jeu.

Contribuer collectivement à l’éducation

Les politiques publiques d’éducation et de formation ont souvent été acquises de haute lutte, y compris en démocratie. On peut toujours les améliorer. Mais prend-on pleinement la mesure de leur pouvoir profondément transformateur ? Réalise-t-on, en outre, que nous sommes capables d’une créativité insoupçonnée pour nous réinventer sans cesse, sur ces terrains ? Ce défi, planétaire, des apprentissages est aussi celui de la solidarité, de l’échange, de l’émulation.

La célébration des apprentissages telle que nous y invitent les Nations unies les 24 et 25 janvier prochains ne se limite pas au champ institutionnel : c’est une fête collective, démocratique et inclusive. Parce que l’on ne cesse d’apprendre toute sa vie, chacun doit être invité à contribuer au bien commun par ses connaissances, anciennes et nouvelles, à apprendre de ses pairs et d’être une source d’inspiration pour les autres.




À lire aussi :
Débat : Et si l’on considérait les jeunes comme des citoyens de l’éducation ?


La pandémie nous a profondément fragilisés mais elle a aussi mis au jour notre besoin de « faire société », de nous (re-)trouver. Comme l’explique la philosophe Sandra Laugier dans le livre qu’elle a co-dirigé, Le pouvoir des liens faibles, la fragilité des liens qui composent une société constitue aussi sa force et sa capacité intégratrice : par les conversations, par le langage, sous toutes ses formes, nous sommes en mesure de produire, ensemble, les changements dont nous avons besoin pour vivre mieux.

Inspirons-nous également des plus jeunes qui, en apprenant à tirer le meilleur des outils numériques, en se mobilisant pour le bien commun, pour la planète, contre le racisme, pour l’égalité femmes-hommes, développent de nouvelles capacités de travail en commun, de partage et de résolution de défis.

À l’exemple de Malala, qui s’est battue pour l’éducation des filles au Pakistan, s’ajoute celui de Sagarika Sriram qui, avec Kids4abetterWorld, a créé depuis Dubaï une plate-forme mondiale pour connecter les enfants désireux de s’engager en faveur de l’environnement. Au Québec et en France, Electeurs en herbe a mis sur pied un projet d’éducation ou la citoyenneté pour les collégiens et lycéens.

Présentation du programme « Électeurs en herbe ».

De véritables communautés apprenantes, spontanées ou organisées, naissent et se développent, à tous les âges. La connaissance partagée est un processus de formation et de transformation de soi, permettant de créer d’autres conditions de discours, qui forment « un espace public de résonances », pour reprendre une formule du philosophe Yves Citton.

Partager nos apprentissages

Nous réjouir de ce que nous avons fait et de ce que nous savons faire est un moyen, parmi d’autres, de ne pas, de ne plus se sentir seul, en créant des lieux de rencontre et de partage. De tels « middle grounds » hybrides, physiques et virtuels, ponctuels ou durables, offrent la possibilité de se rassembler, de se rencontrer.

Nous sommes, toutes et tous, des chercheuses et des chercheurs qui, chaque jour, apprenons de nouvelles choses. Les documenter, les cartographier, les évaluer, les partager et les transmettre ne doivent pas relever de l’injonction, mais bien de l’invitation à inventer des formes nouvelles, modernes, d’« éducation populaire » parce que les attentes sont réelles pour relever nombre de défis locaux et globaux.

Du « mapping » de bonnes pratiques aux GPS de la connaissance, en passant par les pédagogies de résolution collaborative de problèmes « collaborative problem-solving », le design thinking, la pensée critique, le « learning by doing », des nouveaux modèles d’apprentissage et de transmission sont en cours d’exploration, du local à l’international, dans les écoles, les universités, les entreprises, les associations.

Ces modèles valorisent la recherche participative, font confiance à la science, s’appuient sur les savoir-faire d’expérience, y compris militants. Ils sont aussi, réciproquement, des objets d’étude pour la recherche académique.

Dès lors, pourquoi ne pas structurer les célébrations et créer de nouveaux rituels réguliers ? Applaudir les personnels soignants à la fenêtre, comme beaucoup l’ont fait lors du premier confinement, c’est savoir dire merci, ensemble. Mais cette gratitude collective ne peut se limiter au symbolique : il faut concrétiser l’investissement public dans les professions du soin, de l’attention à l’autre et de l’éducation.

Cela nécessite de dégager des moyens financiers pour accompagner, préparer, impliquer, accompagner les générations futures qui figurent parmi les principales victimes des crises mondiales actuelles, ainsi que toutes celles et tous ceux qui, quels que soient leur âge, leur situation sociale et professionnelle, leur lieu de vie, ont besoin et envie d’apprendre et de se former.

Le récit optimiste sur l’éducation, la formation, les apprentissages ne se décrète pas, ne s’impose pas. Il s’incarne dans toutes les bonnes volontés et prend corps dans des dispositifs inspirants. L’éducation est un soft power international puissant.


Pour consulter le programme du Learning Planet Festival, organisé par le CRI avec l’UNESCO à l’occasion de la Journée mondiale de l’éducation, cliquez ici.

François Taddei, Chercheur Inserm, directeur, Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI); Gaëll Mainguy, Director, Development and International Relations, Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI) et Marie-Cécile Naves, Docteure en science politique, chercheuse associée au CRI Paris, Centre de Recherches Interdisciplinaires (CRI)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.


Articles récents >

Résumé des articles du 29 novembre 2024

outlined-grey clock icon

Les nouvelles récentes >